Un passeport européen pour le crowdfunding !

Crowdfunding
Temps de lecture : 9 minutes
Un passeport européen pour le crowdfunding !

Dans son rapport « Crowdfunding : Mapping EU markets and events study », la Commission Européenne faisait en septembre 2015 un premier était des lieux du financement participatif en Europe. A l’époque ce sont déjà plus de 500 plateformes qui sont actives dans l’ensemble des Etats membres (principalement au Royaume-Uni, en France, en Allemagne) et qui ont atteint un montant global de 2,3 milliards d’euros collectés[1]. A l’échelle mondiale, d’après une étude de Massolution, ce sont plus de 1 000 milliards de dollars qui devraient être levés d’ici 2020.

Le rôle économique des acteurs du crowdfunding devient de plus en plus important et il était primordial que la Commission Européenne statue sur un cadre européen pour la finance alternative afin d’accompagner, de manière contrôlée, le développement de ce marché orienté vers le financement de l’économie réelle. Jeudi 8 mars, la Commission Européenne a finalement publié sa proposition visant à créer un cadre européen pour le financement participatif de manière à conserver un marché rentable et sécurisé pour les entreprises et les investisseurs.

Retour sur les étapes de ce nouveau cadre européen pour le crowdfunding.

Prémices et constats de l’importance d’un cadre réglementaire européen

Constat des obstacles pour un crowdfunding européen

Depuis quelques années déjà, le Commission Européenne s’intéresse au secteur du crowdfunding, notamment dans le cadre de l’Union des Marchés des Capitaux (UMC), véritable plan d’action qui vise à mobiliser des financements au profit de la croissance de l’Union Européenne. En 2016, elle publie un premier rapport sur le financement participatif qui ne représente alors que 4,2 milliards d’euros de fonds levés sur l’ensemble des plateformes européennes avec une dominance écrasante du Royaume-Uni (en quantité de projets et en termes de fonds récoltés également). Le poids de ce mode de financement alternatif est encore faible mais sa forte croissance et la multiplication des plateformes n’échappe pas à la Commission qui se dit prête à soutenir le développement de ce modèle à l’échelle européenne tout en veillant à la protection des investisseurs[2].

Dans un rapport élaboré pour la Commission Européenne en décembre 2017, le réseau professionnel ECN (European Crowdfunding Network) a tenté d’identifier les obstacles potentiels aux transactions transfrontalières, qu’ils soient d’ordre réglementaires ou structurels. Ces difficultés empêchent actuellement, faute d’une législation commune, les plateformes de financement participatif d’étendre leur activité à l’échelle européenne. L’enquête et les différentes analyses juridiques se concentrent sur les marchés les plus significatifs en termes de capitaux et de projets à savoir le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas. Il en ressort une forte hétérogénéité des marchés nationaux notamment à cause de la multitude de cadres réglementaires en vigueur mais également de la diversité des types de plateformes et de leurs business modèles[3] : en prêt, en titres financiers (actions ou obligations), en dons ou en contre-parties, orientée uniquement particuliers ou également entreprises… La complexité d’uniformisation vient également de la nature même de la finance participative qui implique trois parties dans une seule transaction : le porteur de projet en recherche de fonds, les prêteurs ou investisseurs selon la nature de la transaction et la plateforme qui gère la mise en relation ainsi que les montages juridiques et financiers appropriés.

Des transactions européennes régulées par des « best practices »

Jusqu’au 8 mars dernier, il n’existait pas encore de loi ou de régulation formelle européenne pour le financement participatif. Certes des directives relatives aux produits et instruments financiers existent, comme MIFID par exemple, mais pour la régulation du crowdfunding, il a été laissé à l’appréciation de chaque Etat de l’appliquer avec ou sans dérogations. La plupart ont donc décidé de créer des régimes particuliers afin de donner un cadre législatif national adapté pour le développement de cette pratique.

De ce fait, aujourd’hui, les plateformes qui tentent de s’étendre rencontrent des difficultés techniques car cela suppose une adaptation à la juridiction du marché national ciblé. Dans l’étude de ECN, nous pouvons voir que les plateformes ont dû opter pour des approches détournées pour pouvoir opérer hors de leur cadre national de manières ponctuelles. Une plateforme peut ainsi exercer via des filiales dans le pays membre ciblé et régit par la législation locale. La plateforme peut également opérer via un partenaire chargé de collecter les investissements hors du pays, passer par la création d’un véhicule d’investissement spécifique ou encore opérer sous une sorte de licence européenne (souvent MiFID)[4].

Dans la plupart des cas, cela sous-entend la création d’entité légale séparée gérée parfois par un partenaire ce qui suppose d’avoir valider la fiabilité de celui-ci. Tous ces détours sont de la perte de temps, des frais supplémentaires pour les plateformes et des risques potentiels pour la protection des épargnants. L’enjeu d’un cadre européen clair et défini permettra donc de mettre un terme à ce parcours du combattant.

 

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Objectifs et attentes de ce nouveau projet de loi

Des enjeux économiques de taille pour l’UE

Déjà en 2015, la Commission Européenne posait les principaux objectifs de l’Union des Marchés de Capitaux qui auront comme but ultime de renforcer l’économie européenne en permettant de « mobilier les investissements au service de la croissance et de l’emploi »[5]. Bruxelles a bien compris que la finance alternative représente une forme d’investissement créatrice de valeur ajoutée et particulièrement adapté pour les jeunes startups ou PME en phase de croissance et d’expansion. En effet, dans l’introduction du texte qui a été proposé à la Commission Européenne, on peut lire que « ce service fondé sur les nouvelles technologies, que représentent les plateformes de crowdfunding, est donc bien adapté aux investisseurs avec un projet d’entreprise et des besoins de financement »[6]. On peut d’ores et déjà préciser que le cadre européen ne portera que sur les plateformes en prêt ou titres financiers (actions ou obligations). Les modèles tels que l’investissement en startups ou le crowdfunding immobilier entendu comme le financement de la promotion immobilière sont donc concernés par cette uniformisation. Les promoteurs font en effet partie de ces PME pour lesquelles les conditions d’accès à l’emprunt bancaire depuis 2008 (accords Bâle II) ont été durcies et qui ont besoin d’effet de levier pour se développer et accroître leur chiffre d’affaires.

D’un point de vue purement économique, une harmonisation des transactions des différentes plateformes permettra de réduire la fragmentation du marché du crowdfunding qui résulte de la liberté d’appréciation qui a été laissée depuis quelques années aux Etats membres. Il en ressort aujourd’hui une sorte de « surtransposition des directives clés »[7], pour reprendre le terme de l’association professionnelle Financement Participatif France dans sa note de position de juin 2017. En y remédiant, la Commission Européenne espère pouvoir soutenir de manière plus importante la mobilisation du capital en Europe, la création d’emploi et de richesses en facilitant l’allocation transfrontalière de l’épargne des citoyens de chaque Etats membres tout en garantissant la protection des intérêts de ces derniers.

Création d’un cadre légal européen uniformisé pour un développement pérenne et structuré du secteur

L’idée centrale de cette nouvelle mesure est bien évidemment l’harmonisation du cadre européen pour les plateformes de financement participatif afin qu’elles puissent de manière régulée étendre leur activité en dehors de leurs frontières nationales. Pour cela, il était primordial qu’un statut européen, sous forme d’agrément ou autre, soit créé et que des règles strictes et « directement applicables en-deçà de tous les seuils d’exemption des réglementations européennes existantes » (MIF II, Prospectus…) soient définies.

Une fois ces règles posées, les plateformes pourront aller pénétrer d’autres marchés que le leur et ainsi développer les possibilités d’investissements et donc la mobilisation de capitaux à l’échelle européenne. Un cadre commun et des règles pour les transactions favorisera une concurrence saine et loyale entre les acteurs européens du secteur, point crucial pour un développement pérenne.

Bien sûr, l’ouverture à l’échelle européenne des transactions en crowdfunding ne doit pas se faire sans mesures de contrôle strictes afin de continuer à une échelle plus grande la lutte contre le blanchiment ou le financement du terrorisme.

 

Passeport européen pour le crowdfunding : modalités et conditions

Un agrément européen pour le crowdfunding

La Commission Européenne a donc publié le 8 mars dernier sa proposition pour un cadre européen pour le financement participatif et les plateformes souhaitant réaliser des levées transnationales. La mise en place du régime européen pour le financement participatif tel que prévu par ce nouveau dispositif prévoit[8] :

  • La création d’un agrément European Crowdfunding Services Provider (ECSP) que les plateformes devront demander si elles souhaitent s’étendre hors de leur marché national.
  • La nomination de l’AEMF (Autorité Européenne des Marchés Financiers), ou ESMA (European Securities and Markets Authority) au poste de régulateur des activités des plateformes à l’échelle de l’UE. Cette autorité indépendante sera également en charge de traiter les demandes d’agrément des différentes plateformes.
  • Le plafonnement à 1 millions d’euros par levée sur 12 mois pour les offres individuelles de financement sur les plateformes.

Cet agrément n’est bien sûr pas obligatoire et les plateformes qui souhaitent pour le moment se concentrer sur leur marché domestique n’ont donc pas à déposer de dossier pour la demande du ECSP. Dans ce cas-là, les régimes nationaux restent valables. Enfin, seules les plateformes de financement en prêt et en titres financiers sont concernées et donc pour le moment les plateformes spécialisées en dons ou contreparties ne rentrent pas dans le cadre d’un label européen.

Les conditions d’obtention du « passeport européen » pour les plateformes

Les conditions et critères retenus pour l’octroi de l’agrément ECSP ressemblent d’une manière générale à ceux déjà imposés lors des demandes d’accréditation à l’échelle nationale.

En effet, le point crucial étant la protection des investisseurs et la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, les plateformes devront pouvoir fournir des informations relatives à leur statut légal, aux montages juridiques et financiers utilisés lors des transactions, à la sécurité des informations collectées sur leur plateforme… Un détail précis des procédures existantes contre la fraude sera également demandé aux acteurs du financement participatif ainsi que la description des étapes mise en place pour évaluer les risques des projets soumis à investissement. Tout comme c’est déjà le cas en France par exemple, les plateformes auront un devoir de transparence envers leurs clients tant sur les risques encourus par ce type de finance alternative que sur les coûts et frais imputés s’il y en a. Dans le cas du crowdfunding immobilier, les investisseurs ne payent aucun frais (entrée, sortie ou gestion), seuls les porteurs de projets (promoteurs ou marchands de biens) sont prélevés sur le montant total de la collecte d’un pourcentage fixe, entre 5 et 8% selon les plateformes.

L’AEMF se réserve le droit de demander des informations supplémentaires sur les gérants des plateformes ou leurs clients dans le cadre d’investigations. Des mesures de sanction (amende notamment) sont prévues en cas de non-respect de ce règlement européen.

 

En guise de conclusion…

Au niveau national, la plupart des Etats ont compris l’importance de réorienter l’épargne des français dans l’économie réelle. Avec le plan d’action de l’Union des Marchés de Capitaux, l’UE a commencé à prendre ce virage. L’instauration d’un cadre réglementaire européen pour le crowdfunding vient donc compléter cette politique de mobilisation du capital en Europe pour financer les « jeunes pousses » et créer de nouveaux emplois.

Cette mesure devrait accroître la compétition entre les plateformes en place mais également permettre le développement de celles dont les marchés domestiques ne représentaient pas un assez gros potentiel.

Quelques points sont encore à améliorer comme le plafond des 1 millions d’euros qui apparaît comme très bas, ou encore la question de la fiscalité appliquée à ces investissements. Ce qui est certain c’est que cette nouvelle mesure va offrir aux investisseurs la possibilité de diversifier leurs placements au sein de nouvelles zones géographiques et sur de nouveaux marchés, et donc en parallèle lisser les risques associés.

 

[1] « Crowdfunding : Mapping EU markets and events study”, Executive Summary, European Commission, 30 septembre 2015.

https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/crowdfunding-study-executive-summary-30092015_en.pdf

[2] Déclaration de Jonathan Hill, commissaire européen à la stabilité financière, aux services financiers et à l’union des marchés des capitaux, insérée dans le Communiqué de presse de la Commission Européenne, « Union des marchés des capitaux : la Commission soutient le crowdfunding en tant que source alternative de financement pour les startup européennes », 3 mai 2016.

http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-1647_fr.pdf.

[3] « Identifying market and regulatory obstacles to cross-border development of crowdfunding in the EU”, Executive Summary, December 2017, European Crowdfunding Network & Osborne Clarke Germany for the European Commission.

https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/171216-crowdfunding-executive-summary_en.pdf

[4] Idem.

[5] Communiqué de presse de la Commission Européenne, La Commission lance les travaux sur la création d’une union des marchés de capitaux, Janvier 2015.

http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-3800_fr.htm

[6] Texte d’origine communiqué aux Echos et Wansquare et repris dans les articles suivants

https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/0301307959747-bruxelles-prepare-un-cadre-europeen-pour-les-acteurs-du-financement-participatif-2154783.php

http://www.wansquare.com/2018/fevrier/13/la-commission-europeenne-prete-a-legiferer-sur-le-crowdfunding.html

[7] “How to build a more competitive and innovative European Fintech sector”, Financement Participatif France, Note de position, 14/06/2017.

http://financeparticipative.org/wp-content/uploads/2017/06/Fintech-Europe_FPF-position-paper_20170614_FR.pdf

[8] « Proposal for a REGULATION OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL on European Crowdfunding Service Providers (ECSP) for Business», 8 mars 2018, European Commission.

http://ec.europa.eu/finance/docs/policy/180308-proposal-regulation-crowdfunding_en.pdf  

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